Je ne sais plus trop où j’en suis. Tu ne sais vraiment plus où t’en est. Et si tu continues à te causer à toi-même, t’es plutôt mal barrée. En’Joy marchait, tête haute. Dans son petit tailleur mauve, on aurait pu la prendre pour une enseignante. Mais son regard, bien que fatigué trahissait sa jeunesse vigoureuse. Elle marchait donc, cheveux au vent, à la découverte des lieux. La demoiselle était arrivée un peu plus tôt sur le campus. Elle avait abandonné sa valise à l’accueil, après avoir pris le papier sur lequel était inscrit sa chambre & d’autre conseil avisés. Elle avait à peine parcouru le prospectus des yeux & l’avait enfourné dans sa poche. Et maintenant ? En’Joy était à la recherche du petit coin sont elle pourrait s’emparer pour rêvasser.

Elle pensait à toute allure. Que faisait-elle là. Ce n’était pas sa place, ici. Et puis elle n’aimait pas le label « Jeune à problème » qu’on lui avait collé dessus. Comme si elle avait des problèmes. Bien sûr que non. Chacun ses petits soucis. Mais pas de problèmes. Et puis, elle ne prend pas de drogue (ou occasionnellement), elle ne buvait pas au point d’être alcoolique… Elle n’était dépendante de rien. Je n’ai pas de problème. Je n’ai pas de problème. Je n’ai pas de problème. Voilà ce qu’elle martelait à chacun de ses pas. En’Joy senti grandir en elle une boule d’angoisse. Normal. La nuit tombe. C’était l’heure d’aller travailler. Peut-être que c’est ça, son problème. Sortir de la prostitution ? Mais ce n’était pas un problème, ça ! Il suffisait… Il suffisait… Une nausée la prit soudainement. Si, c’était un problème.

Les premières étoiles s’accrochaient dans le ciel. Son malaise n’allait qu’en s’accroissant. Elle finit par se laisser choir contre une fontaine placée au beau milieu de tout. Donc de rien. Ses nausées avaient mutées en véritables haut-le-cœur. Elle avait l’horrible sensation de sentir l’odeur nauséabonde de la vieille chambre d’hôtel. A cette heure-ci, le premier client était déjà arrivé, & il fallait le servir. Alors, la tête renversée sur le bord de la fontaine, le regard brillant de larmes plongé dans la voute céleste, En’Joy ne pensa plus à rien. Assise sur le sol, comme une poupée de chiffon qu’on aurait abandonné là dans nuit montante, elle ne voulait plus rien. Si ce n’est ne plus jamais souffrir. Mais après tout, on vit pour souffrir autant qu’on souffre pour vivre, non ?

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