Oni to Musume ♫

<< L'histoire a été racontée il y a très, très longtemps :
Le conte d'un ogre au bon coeur et d'une servante dans un village >>

La nuit n'avait pas été facile pour Haine. Agitée, elle avait renversé ses couvertures à terre et ne s'en était aperçue qu'au matin, lorsque la sensation de froid finit par avoir raison de son sommeil. Grelottant, elle avait ramassé machinalement un drap, et s'était enroulée dedans. Au Japon, ça n'aurait pas été convenable de se rouler ainsi en boule pour dormir, heureusement qu'elle n'avait pas à craindre le regard d'un quelconque colocataire ; le dernier était partie de Naishou Niwa il y avait de cela trois mois. La paix et la liberté absolue au sein de son alcôve. Trois mois durant. Trois mois solitaires.

Les paupières closes, Haine réfléchit à son réveil définitif au bord de son lit. Passant sa main dans ses cheveux d'ébène, elle soupira, puis se leva. Mettre son kimono seule ne la gênait plus depuis les trois premiers mois où elle était arrivée dans ce campus. Puis, direction le petit déjeuner.

<< Dans la forêt en bordure d'un petit village,
Vivait un vieil ogre >>

Un thé. Noir. Comme ses cheveux, comme ses yeux, comme les ténèbres de son cœur. Elle remuait sa cuillère dans sa tasse mécaniquement, d'un air neutre et en silence. Haine était comme ce couvert : elle tournait en rond, discrète, faisaient des remous qui s'arrêtaient presque tout de suite après les avoir créer, contre une espèce de barrière dans laquelle elle se serait enfermée. Elle pensait encore à son frère, qui l'avait trahi, à ce père, qui les avait trahi, à elle qui n'avait même plus Andreï pour tenter d'aller mieux. Il l'avait aussi trahi, il était parti.

Parti dans tous les sens du terme.

La jeune fille en kimono poussa un soupir, puis posa la main dans la paume, le coude distraitement installé sur la table. Comme à son habitude, elle y était seule. Les autres n'étaient pas tentés de se rapprocher d'elle, et c'était réciproque. Simplement une question d'habitude. Alors que Haine porta la tasse à ses lèvres en fixant son contenu, son regard virevolta soudain sur un groupe de garçons bruyant qui venaient d'entrer. Au regard de l'un d'entre eux, elle pouvait deviner qu'ils n'étaient certainement pas à jeun, alcooliquement parlant. Mieux valait rester en retrait, et supporter ce qui insupportait à son ouïe. Tant pis, elle n'était pas avec des déséquilibrés pour rien.

La bande faisait un vacarme dingue. Ils prirent quelques victuailles, plus par goût du hasard qu'autre chose, et s'attaquèrent à un garçon gentiment posé dans son coin. Forcément, ça s'échauffait. Et cette petite brune, là... Elle était aussi dans son coin, mais faisait abstraction du souk qui régnait dans la cafétéria. Elle en avait, de la chance. Haine détestait ce bruit désordonné que la bande de bagarreurs produisait, mais elle ne faisait rien pour penser à d'autres sons. Ne lâchant pas du regard la jeune fille, elle aspira une autre gorgée de thé.

<< Une servante du village vint un jour à lui
Elle était aveugle, et ne connaissait pas son apparence véritable >>

Elle semblait insouciante et posée. Sans doute tout le contraire de ces idiots qui ne faisaient du tapage que pour mieux se faire remarquer.

Je m'étais levée assez tard. Cette nuit, j'avais rêvé que le feu avait été mit au Campus... C'était une fille blonde, à peu près de mon âge. D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, cette dernière me faisait drôlement penser à Selphira Tsubaki... Une bonne amie, quand même. Malheureusement elle était parti. Tout comme Lucio, on racontait que ces deux là sortaient ensemble. Peut-être avaient-ils fuit Niwa dans le but de ... Rooh et puis, j'en sais rien moi ! Peut-être que Selphy avait un rapport avec l’incendie imaginaire de mon rêve... Cette fille-là était genre, pyromane. Un truc du genre, j'en sais rien de ce qu'il s'est passé avec elle avant qu'elle arrive en Australie, à Niwa Naishou.

L'horloge de ma chambre indiquait qu'il était un peu plus de midi. Il était tard pour se lever et si elle serait encore au Pérou, ma mère m'aurait probablement grondée. Je m'habilla rapidement : une jupe noir mi-cuisse, avec des jambières mauves et une camisole (je crois qu'on dit débardeur, en France) mauve. Je sorti du bâtiment des dortoirs, me dirigeant vers le bâtiment A, où il y avait la cafétéria. J'avais une faim de loup, j'avais absolument besoin de manger. N'importe quoi, même un ours ! Euh... Non, peut-être pas, finalement.

J'entrai donc dans la cafétéria, puis alla prendre un repas. Du riz avec des saucisses. Hum, pas mon préféré mais bon, je n'avais pas trop le choix puisque c'était celui du jour. J'allai donc m'asseoir dans un coin, seule. Une table un peu éloignée à côté d'une fenêtre qui avait une belle - sarcasme, bien sûr - vue sur la cour et quelques étudiants de Niwa qui trainaient là, à brouter dans l'herbe comme des vaches. Enfin non, j'exagère. Ils sont juste assied par terre à rien foutre, quoi. Reportant de nouveau mon attention sur mon assiette, je commençai à manger lentement.

Un groupe de gars, apparemment saoul entrèrent un peu après. Pauvre gars innocent. La bande s'attaquèrent à eux, puis les agents de sécurité qui avait ... partout. Ils sortirent, accompagnés des agents. Ceux-là, ils allaient avoir des problèmes. Je suivis du regard l'innocent, qui allait sans doute se diriger vers l'infirmerie puisque son nez saignait. Je senti un regard rivé sur moi. C'était celui d'une fille aux cheveux noirs, probablement japonaise. Elle semblait froide, solitaire.

Elle avait quoi, à me regarder de même ? J'suis pas un truc d'exposition dans les musées, hein ! Je me levai, m'approchant ensuite d'elle, m'assoyant à la place libre, puis planta mon regard dans le sien.

Donc ?

Ne bougeant pas d'un poil, j'attendais une réponse.

Souvent, on pense contrôler la situation. Ses gestes, son corps, et puis aussi le comportement d'autrui. Car on peut saisir l'origine de ce qui nous blesse, on s'imagine que si l'autre souffre, c'est pour la même raison. On raconte une blague en se disant qu'elle fera rire notre interlocuteur, car elle nous fait rire. On montre un film qui nous a plu, en nous disant qu'il plaira. « Qui se ressemble s'assemble », mais les sosies s'accordent mal entre eux. Ils s'ennuieraient, avec leurs personnalités parfaitement identiques. Ou se détruiraient. Ou... Il y a tant de possibilités. Mais pour en revenir au sujet initial : certes, on pense contrôler la situation, alors que c'est cette impression qui nous manipule.

Ici, qui tenait les clefs de la situation en main ? L'inconnue, qui semblait se sentir obliger de jouer l'offensive face au regard insistant de Haine, ou Haine, qui gardait son sang-froid et un air d'indifférence devant la demoiselle brune ? Rapport de force, ou manière originale de se dire "bonjour", c'était pour la jeune fille en kimono un premier contact étonnant.

Du coup, elle leva un sourcil. Puis bu une autre gorgée de thé.

Cependant, Haine ne baissa pas le regard, lequel scannait maintenant ce qui l'intéressait : la tenue de mademoiselle. Du violet et du noir. Vêtements légers. La saison était pourtant un peu fraîche en ce moment. Mais bon, au nom de la mode, on peut bien se balader en mini-jupe en plein hiver. Pourquoi pas ?

Ah, l'hiver australien... Haine se rappela le premier qu'elle vécut dans ce pensionnat. Un choc émotionnel. Tandis que son frère cuisait aux 30°C à l'ombre, elle devait se contenter de 10°C au soleil. Agréable. D'ailleurs, si ça se trouvait, la jeune fille devant elle en était à sa première année ici.

« Tu n'as pas froid ? »

Sa voix était très calme, teinte d'une once d'inquiétude. Pour son interlocutrice ou pour elle-même, Haine ne savait pas vraiment.

Non, les choses étaient dites, cette jeune fille n'était certainement pas ici depuis longtemps. A demi étonnée, Haine écarquilla très légèrement les yeux, fixant la demoiselle tout en penchant sa tête sur sa gauche. Ses cheveux aile de corbeau glissèrent sur son épaule. Tout en les rejetant doucement en arrière, la jeune fille laissa son regard froid se poser sur son thé. Accoudée sur la table, elle faisait danser un de ses doigts sur le rebord de la tasse.

Et puis, cette question lui sembla étrange. L'hiver, c'est-à-dire le froid, la glace, la neige, tout le monde était sensé connaître cette saison, où que l'on puisse vivre. A moins que la jeune fille vienne d'un pays chaud - et encore, même en Afrique on connaissait la doudoune - Haine ne comprenait pas vraiment sa question. Contemplant encore le contenant de son thé, elle lui répondit d'une voix monocorde.

«« La neige, c'est comme la pluie, mais c'est blanc. Ça descend du ciel par petits blocs, et ce sont des cristaux de glace. Quand on y touche, ça brûle. »

Dans un sens, ça n'était pas faux. Mais dit de cette façon, on pourrait penser que ce genre d'averse se rapprochait plus des effets du feu que de ceux de la glace. Mais en grosse quantité, et par ce froid et ce vent, on peut ressentir un effet de brûlure. C'était relatif en fonction de chacun, et la demoiselle devait bien se faire sa propre opinion sur sa sensibilité à l'élément neige. La jeune fille aux cheveux ailes de corbeau marqua une pause avant de continuer.

«« La neige, ça fait mal. Mais on s'habitue. Tu verras lorsque les flocons tomberont bientôt. »

Relevant les yeux vers le visage de son interlocutrice, Haine se demanda si elle avait parlé dans le vide, notant que son regard semblait rêveur. Portant la tasse à ses lèvres, elle en vida le liquide presque tiède par petites gorgées mesurées. Et soudain, son portable avait vibré.

Essayant de ne pas paraître intéressée ni précipité, la jeune fille le laissa signaler l'appel pendant quelques secondes avant de le sortir de son sac. Son doigt glissa sur le clavier, et elle lut rapidement le message qu'elle venait tout juste de recevoir. La surprise devait se lire sur son visage, que Haine leva vers la demoiselle qui l'avait abordée. Cette dernière était d'ailleurs un peu loin ; elle n'avait pas remarqué qu'elle s'était levée.

Apparemment, elle avait envie qu'on la suive pour découvrir la neige, mais Haine avait reçu un message d'une importance capitale : des nouvelles de Jun. Et ça, c'était sacré. Il allait se connecter d'ici peu pour lui écrire, et Haine espérait du plus profond de son cœur de pouvoir le voir grâce à la Webcam, et pas seulement par son avatar. Joyeuse, son papitant battait la chamade mais elle n'en fit rien paraître. C'était son moment de bonheur, et à elle seule.

«« Je suis désolée, j'ai une urgence. On sortira ensemble une prochaine fois, si tu veux bien ? »

Ceci dit, Haine lui adressa un petit sourire de politesse et prit sa tasse entre ses deux mains. Rapidement, elle les rendit à l'un des employés, et s'empressa de prendre son sac. Elle avait si hâte de retrouver son frère.

HRP: